Comment des investissements stratégiques transforment l’avenir énergétique de l’Europe

Longs délais d’attente pour les raccordements au réseau, contraintes d’infrastructure et fluctuations imprévisibles de l’approvisionnement en énergie... La transition énergétique risque-t-elle d’être entravée par son propre succès ? Ronald Huisman, professeur de financement de l’énergie durable à l’université Erasmus de Rotterdam, et Kay van der Kooi, Senior Investment Manager chez Triodos Investment Management, évoquent les défis et les opportunités liés à la gestion de la transition rapide à l’énergie durable.

En Europe, la transition énergétique bat son plein, poussée par la volonté de décarbonisation, d’autonomie stratégique et d’économie durable. Cependant, le réseau électrique existant a du mal à suivre le passage accéléré aux énergies renouvelables. Les longs délais d’attente pour les raccordements au réseau, les contraintes d’infrastructure et les fluctuations imprévisibles de l’approvisionnement en énergie soulèvent une question importante : la transition énergétique risque-t-elle de stagner de par son propre succès ?

L’évolution du système énergétique

Le marché européen de l’énergie a considérablement évolué au cours des dernières décennies. Jusqu’à la fin des années 1990, l’énergie était produite par des centrales électriques centralisées gérées par des prestataires (semi-)publics. La libéralisation a permis aux ​ consommateurs de sélectionner librement leur fournisseur d’électricité, dynamisant la concurrence et encourageant ​ l’innovation. Mais, comme l’explique Ronald Huisman, « la libéralisation du marché de l’énergie a été pensée dans un contexte dominé par les combustibles fossiles, lesquels permettaient une production prévisible et une flexibilité dans l’ajustement de l’offre. L’introduction des énergies renouvelables, en particulier l’éolien et le solaire, a apporté de nouvelles complexités ». Contrairement aux centrales à combustibles fossiles, les énergies renouvelables ne produisent de l’électricité que lorsque la nature le permet, ce qui entraîne des fluctuations avec des pics et des creux dans l’approvisionnement.

La congestion du réseau : une préoccupation croissante

La transition vers les ​ énergies renouvelables a conduit à un réseau électrique “qui grince et qui craque” sous la pression. Les réseaux traditionnels ont été conçus pour distribuer l’électricité dans une seule direction : des centrales aux consommateurs. Aujourd’hui, de nombreux consommateurs sont également producteurs et renvoient au réseau l’électricité excédentaire produite par les panneaux solaires installés sur leurs toits. La congestion du réseau est devenue un problème majeur, entraînant des retards dans le raccordement des nouveaux projets de construction et énergétiques. Elle entrave même l’expansion des énergies renouvelables. Dans certaines régions, les parcs solaires et éoliens doivent attendre des années avant de pouvoir être raccordés au réseau, tandis que les projets résidentiels et industriels sont retardés en raison du manque de capacité disponible de celui-ci. Kay van der Kooi souligne le défi : « Le réseau électrique n’a pas été conçu pour une telle production décentralisée. Nous avons aujourd’hui une infrastructure obsolète qui a du mal à faire face à une toute nouvelle façon de produire et de consommer l’énergie. »

La nécessité d’une infrastructure plus intelligente

Les deux experts s’accordent à dire que le réseau électrique actuel peut être qualifié de “réseau stupide”, car il manque de flexibilité pour gérer efficacement les fluctuations de l’offre et de la demande. Pour accélérer la transition énergétique, ils estiment qu’un réseau plus intelligent est nécessaire, avec une gestion des données en temps réel, une plus grande capacité de stockage et des modèles de tarification dynamiques. Mais les consommateurs doivent eux aussi s’adapter. « En tant que consommateurs, nous pourrions aussi adopter un comportement beaucoup plus intelligent », précise Ronald Huisman. « Nous ne prêtons pas attention au moment où l’électricité est le moins chère ou le plus disponible ; nous l’utilisons simplement quand nous le voulons. Cela doit changer. En tant que producteurs, nous pensons que nous pouvons toujours réinjecter notre surplus d’énergie solaire dans le réseau, mais ce n’est pas toujours le cas. » L’équilibre entre l’offre et la demande doit être maintenu en permanence. Encourager des habitudes de consommation plus réactives, telles que l’utilisation de l’électricité pendant les heures de pointe de la production, pourrait contribuer à réduire la pression sur le réseau.

Investissements et innovation

Les défis de la transition énergétique offrent par ailleurs d’importantes possibilités d’investissement. « Là où il y a de la rareté, il y a aussi de la valeur », affirme Kay van der Kooi. « La volatilité des prix de l’énergie crée de solides arguments en faveur du stockage, de la tarification dynamique et des réseaux intelligents. Le marché y répond déjà, mais nous devons accélérer le mouvement. » En stockant l’énergie excédentaire lorsque l’offre est élevée et en la restituant lors des pics de demande, les batteries peuvent contribuer à stabiliser le réseau électrique. L’investissement dans l’infrastructure du réseau est un autre domaine important. Les réseaux intelligents, qui peuvent mieux prévoir et gérer les flux d’électricité, peuvent améliorer l’efficacité et prévenir la congestion.

Les “hubs énergétiques” – des systèmes localisés où plusieurs consommateurs et producteurs alignent leur offre et leur demande – sont également une solution intéressante pour optimiser le réseau électrique. Malgré ces possibilités, des problèmes de financement subsistent. Les grands investisseurs institutionnels comme les fonds de pension recherchent des investissements évolutifs et peu risqués, alors que de nombreuses solutions énergétiques émergentes n’en sont encore qu’à un stade de développement précoce. Il sera essentiel de combler ce écart entre les capitaux disponibles et les projets innovants pour accélérer la transition énergétique.

La transition énergétique est-elle menacée ?

Les défis de la transition énergétique sont considérables. Pourtant, les experts s’accordent à dire que cette transition n’est pas victime de son succès, mais qu’elle entre simplement dans une nouvelle phase qui nécessite une adaptation. Une tendance positive notable est que la transition devient de plus en plus autonome. De nombreuses décisions d’investissement sont désormais motivées par les évolutions du marché plutôt que par les subventions publiques. Pour maintenir l’élan, il est essentiel d’investir dans le stockage et les réseaux intelligents, d’encourager une consommation d’électricité plus flexible et de développer des modèles de financement innovants pour combler le fossé entre le capital et les nouvelles technologies.

Le passage aux énergies renouvelables n’est pas seulement nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques, il représente aussi une opportunité stratégique et économique qui façonnera l’avenir de l’énergie en Europe et ailleurs. Avec les cadres économiques, technologiques et politiques appropriés, la transition énergétique de l’Europe restera sur la bonne voie. « Les marchés se mettent en place et la technologie pour résoudre ces problèmes existe », constate Van der Kooi. « Mais nous devons nous assurer que les capitaux circulent dans la bonne direction et que les réglementations soutiennent ces innovations. »

Ecoutez ici le podcast avec Ronald Huisman et Kay van der Kooi.

De gauche à droite : Karel Nierop (modérateur du podcast), Kay van der Kooi et Ronald Huisman.
De gauche à droite : Karel Nierop (modérateur du podcast), Kay van der Kooi et Ronald Huisman.

Contact presse

Wim Heirbaut

Press and media relations, BeFirm

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