Les jeux de pouvoir mondiaux mettent la planète à feu et à sang

Perspectives semestrielles de Triodos IM pour les économies avancées

Par Joeri de Wilde, économiste chez Triodos Investment Management

L'ordre mondial semble avoir fondamentalement changé, les États-Unis ne servant plus de pilier du libre-échange et de la démocratie. La politique « America First » de Donald Trump a accéléré le déclin de l'influence et de la stabilité mondiales des États-Unis, entraînant une fragmentation accrue du monde. Nous envisageons quatre scénarios.

Le prix toujours élevé de l'or et l'affaiblissement du dollar américain sont des signes évidents de la persistance de l'incertitude mondiale et de la perte de confiance dans le rôle de leader des États-Unis.

Les États-Unis restent néanmoins la force dominante du système financier mondial : ils représentent 40 % du marché obligataire, plus de 50 % de la capitalisation boursière, et le dollar américain fait office de monnaie de réserve mondiale. Compte tenu de l'instabilité actuelle des politiques, cette domination laisse présager une volatilité accrue des marchés, des fluctuations monétaires et des fuites de capitaux (hors des États-Unis) qui pourraient devenir des thèmes récurrents dans le nouveau contexte géopolitique. Cela ne signifie toutefois pas que les marchés d'actions ne peuvent pas continuer à progresser ; l'histoire nous a appris que les investisseurs sont myopes. Pour l'instant, une désescalade semble suffisante, même si nous nous dirigeons probablement vers un équilibre moins favorable.

Quatre scénarios

  1. Scénario de base : une désescalade vers un monde plus fragmenté
    Dans notre scénario de base, nous tablons sur une désescalade de la guerre commerciale. Néanmoins, le monde se retrouvera avec des barrières commerciales nettement plus élevées qu'auparavant, avec un tarif universel de 10 % pour les États-Unis et même de 30 % pour la Chine. Les représailles seront relativement modestes. La méfiance à l'égard des États-Unis entraînera une baisse du niveau de confiance général, facilitant les jeux de pouvoir mondiaux des régimes autoritaires. Il en résultera un monde plus fragmenté et une coopération multilatérale plus limitée.
    Dans ce monde fragmenté, nous tablons sur un retard et une divergence des ambitions climatiques à l'échelle mondiale*. L'UE et le Royaume-Uni devraient atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, car ils souhaitent renforcer leur compétitivité mondiale et réduire leur dépendance vis-à-vis des régimes (semi-)autocratiques pour leur approvisionnement en énergie et en ressources. C'est également la raison pour laquelle ils respectent leurs engagements en matière d'investissements publics dans la défense et les infrastructures (vertes). Nous pensons que la Chine respectera ses engagements climatiques pris jusqu'à présent, mais cela est loin d'être suffisant pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.
  2. Escalade commerciale : le Jour de la libération
    Dans ce scénario, les tensions s'intensifient à nouveau, ce qui conduit à la mise en œuvre des droits de douane réciproques américains et à un taux tarifaire encore plus élevé pour la Chine au second semestre 2025. Les partenaires commerciaux des États-Unis ripostent. Les tensions au sein de l'Europe resurgissent, les pays privilégiant des mesures de soutien économique à court terme, ce qui limite en partie les investissements publics dans la défense et les infrastructures. Ce scénario table également sur un retard et une divergence des ambitions climatiques à l'échelle mondiale, mais suppose que l'UE et le Royaume-Uni respecteront tous leurs engagements climatiques.
  3. Escalade commerciale : une course mondiale vers le bas
    Dans ce scénario, les tensions commerciales s'intensifient encore, en particulier entre les États-Unis et la Chine. Il en résulte des droits de douane de 145 % sur les produits chinois et des droits de douane de rétorsion de 125 % sur les produits américains. D'autres droits de douane réciproques américains sont également augmentés de 15 %, ce qui entraîne également une hausse des droits de douane de rétorsion. L'UE et le Royaume-Uni reviennent à une politique nationale à court terme et abandonnent leurs investissements dans la défense et les infrastructures (vertes). Ce scénario suppose également un retard et une divergence des ambitions politiques mondiales en matière de climat, mais part du principe que les États-Unis et la Chine maintiennent leurs politiques climatiques actuelles dans une course à la baisse concurrentielle axée sur les combustibles fossiles**.
  4. Nouvel espoir : des partenariats stratégiques et une action climatique
    La désescalade de la guerre commerciale s'accompagne de la formation et/ou du renforcement de partenariats commerciaux bilatéraux stratégiques et de coalitions commerciales plus larges qui ne sont pas dominées par les États-Unis. Les droits de douane universels de 10 % imposés par les États-Unis et les droits de douane de 30 % imposés à la Chine restent en vigueur, mais seule la Chine riposte. En conséquence, le choc de confiance mondial s'estompe assez rapidement et le commerce mondial trouve de nouvelles voies et n'est guère affecté. Les investissements publics prévus par l'UE et le Royaume-Uni dans la défense et les infrastructures (vertes) se concrétisent, car il existe toujours un sentiment d'urgence à devenir stratégiquement indépendant des États-Unis.
    Toutefois, l'accélération de la fragmentation induite par les États-Unis, qui s'ajoute à la méfiance mondiale persistante liée aux jeux de pouvoir des régimes autoritaires, empêche toujours les pays de coopérer pleinement en matière de climat. Par conséquent, ce scénario suppose qu'au cours des prochaines décennies, les ambitions climatiques resteront globalement aussi modérées et hétérogènes qu'elles l'étaient au début de 2024**. Nous prévoyons néanmoins que l'UE, le Royaume-Uni et la Chine atteindront la neutralité carbone d'ici 2050, car cela correspond à leurs ambitions stratégiques. Les États-Unis finiront également par intensifier leurs efforts en matière de climat (après 2030) pour atteindre la neutralité carbone en 2050, car ils ne veulent pas être à la traîne dans la course aux technologies vertes.

Résultats : une croissance mondiale plus faible, mais pas de récession locale dans le scénario de référence

Notre analyse de scénarios suggère que les droits de douane américains et le choc de confiance mondial auront un impact significatif qui se concrétisera principalement au second semestre 2025 et en 2026. En conséquence, dans notre scénario de référence, la croissance économique mondiale ne sera que de 2,6 % en 2025 et 2026.

Les États-Unis ne devraient pas entrer en récession, mais les investissements des entreprises américaines sont freinés par l'incertitude persistante. L'impact à court terme sur l'activité économique de la zone euro et du Royaume-Uni est relativement modeste dans le scénario de base. Dans les deux scénarios d'escalade, les États-Unis et la Chine entrent en récession, principalement en raison d'une forte contraction des investissements des entreprises combinée à une détérioration de la consommation des ménages. La zone euro, le Royaume-Uni et le Japon ne connaissent une récession que dans le scénario de « course vers le bas ». Dans le scénario d'action stratégique, la croissance mondiale n'est pas affectée de manière significative.

En ce qui concerne l'inflation globale, l'analyse des scénarios montre clairement que les augmentations tarifaires font nettement grimper les prix à la consommation aux États-Unis dans le scénario de base et dans les deux scénarios d'escalade, réduisant ainsi le revenu disponible des ménages et, partant, la consommation. L'inflation dans la zone euro et au Royaume-Uni n'est affectée de manière significative que dans le scénario de « course vers le bas », même si, dans ce cas, le dumping chinois de produits destinés aux marchés américains empêche une impulsion inflationniste plus importante.

En conclusion, il est clair que la fragmentation accrue a des répercussions sur la croissance mondiale, même en cas d'apaisement de la guerre commerciale. Les États-Unis seront les plus touchés dans le scénario de base, tandis que l'impact économique à court terme sur les autres économies avancées ne devrait pas être préoccupant.

La Réserve fédérale face à un choix difficile

La nouvelle politique commerciale américaine place la Réserve fédérale dans une position delicate : défendre l'économie ou contenir l'inflation ? Sur la base de nos résultats de référence, qui indiquent une pression élevée sur les prix, et des commentaires du président de la Fed, Jerome Powell, qui laisse entrevoir une attention plus forte sur les pressions inflationnistes que sur les préoccupations liées à la croissance, nous prévoyons seulement deux baisses de taux de 25 points de base jusqu'à la mi-2026, le taux directeur s'établissant finalement entre 3,75 % et 4,00 %.

Pour la BCE et la BoE, la nouvelle situation est plus claire : l'impact sur la croissance économique est modeste dans le scénario de base, tandis que les pressions inflationnistes ne s'accentuent pas. Nous prévoyons donc trois baisses de 25 points de base de part et d'autre d'ici mi-2026, ce qui ramènera leurs taux directeurs à 1,5 % et 3,5 % respectivement.

La fragmentation limite toujours l'action climatique

Si l'on se concentre sur l'impact climatique à long terme, il est clair que même dans le scénario qui table sur un renforcement des partenariats stratégiques et de l'action climatique, le monde ne parviendra pas à limiter la hausse de la température mondiale à 2 °C, et encore moins à 1,5 °C. L'accélération de la fragmentation mondiale induite par les États-Unis a donc des conséquences climatiques considérables, car les efforts ambitieux de certains pays seront compromis par l'action limitée d'autres pays. Cela va dans le sens d'une nouvelle étude qui conclut qu'une action universelle immédiate est nécessaire, car même avec des interventions ciblées, plusieurs limites planétaires, dont le changement climatique, resteront franchies en 2050.

Il est intéressant de noter que la différence entre les émissions de carbone de notre scénario de référence et celles du scénario d'escalade « Jour de la libération » est limitée, ce qui indique que le niveau final des droits de douane n'est pas déterminant pour les émissions mondiales. C'est plutôt l'augmentation de la méfiance entre les pays et la diminution de la coopération mondiale qui seront déterminantes. Même si l'UE, le Royaume-Uni, la Chine et, après plusieurs années, les États-Unis intensifient leurs efforts en faveur du climat afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050, cela ne permettra pas de limiter le réchauffement climatique à moins de 2 °C. Cela souligne la nécessité de relancer la coopération mondiale pour relever les défis communs.

Les perspectives semestrielles complètes de Joeri de Wilde sont disponibles ici.

Joeri de Wilde

Contact presse

Wim Heirbaut

Press and media relations, BeFirm

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