Un conflit local à incidence mondiale
Les perspectives du deuxième trimestre de Triodos Investment Management.
Quelle sera l’incidence de l’invasion russe en Ukraine sur les perspectives économiques des marchés financiers ? Hans Stegeman, Joeri de Wilde et Maritza Cabezas, les stratèges de Triodos Investment Management, nous livrent leur vision sur ces perspectives pour le 2e trimestre.
Bien qu’énorme en Ukraine, l’effet direct de la guerre physique est relativement modeste en termes d’ampleur économique puisque la Russie et l’Ukraine ne représentent qu’une faible part de l’économie mondiale (environ 2 %). Toutefois, la composition de leurs exportations (surtout des produits de base naturels, allant du gaz naturel au blé) rend leur position tout à fait vitale dans l’économie mondiale, comme le montre la dépendance de l’Europe vis-à-vis du pétrole et du gaz naturel russes et celle d’autres pays, comme l’Égypte, vis-à-vis du blé russe et ukrainien.
Perspectives du 2e trimestre pour les économies avancées
Avant l’invasion russe en Ukraine, l’économie mondiale se portait bien. La plupart des économies avancées avaient retrouvé leur niveau d’activité d’avant la pandémie, et le décor était planté pour la dernière partie de la reprise : le retour à la tendance de croissance d’avant la crise sanitaire. La levée de la plupart des restrictions sociales a entraîné une augmentation de l’activité dans le secteur des services et les premiers signes d’une atténuation progressive des perturbations de la chaîne d’approvisionnement ont soutenu l’activité manufacturière. Dans le même temps, les taux de chômage dans les principales économies avancées ont atteint un niveau plancher prépandémique et la solidité des entreprises a été favorable aux perspectives d’investissement. Plus important encore : la combinaison des énormes mesures de relance fiscales et de l’impossibilité relative de dépenser pendant la pandémie a laissé aux ménages un excédent d’épargne massif. Cette épargne leur a permis ensuite de continuer à dépenser normalement malgré l’érosion du revenu disponible réel dû à une poussée inflationniste. Toutefois, la guerre en Ukraine va faire dérailler le cours de l’économie mondiale. La situation initiale favorable amortira quelque peu le choc induit par le conflit, mais l’incidence risque d’être considérable, même dans le scénario le plus optimiste.
- Dans notre scénario de base pour 2022, marqué par une incertitude persistante, la croissance économique mondiale sera de 3,4 %, soit inférieure de 1,0 point de pourcentage par rapport à nos prévisions précédentes.
- Dans notre scénario d’escalade, l’incidence serait encore plus importante, la croissance revenant à 2,9 % et l’économie mondiale tombant en récession.
- Dans notre scénario de désescalade, que nous considérons comme le moins probable, la croissance mondiale atteindrait cette année 3,8 %.
Le dangereux cocktail mélangeant volatilité élevée, resserrement continu de la politique monétaire et pression inflationniste prolongée nous incite à rester prudents en matière d’allocation d’actifs, et à demeurer sous-pondérés en actions et neutres en obligations.
Perspectives du 2e trimestre pour les marchés émergents
Alors que la guerre se poursuit, l’ordre international est en pleine mutation. Les relations économiques et diplomatiques entre la Russie et la Chine sont mises à l’épreuve. Les pays qui se sont abstenus de condamner la Russie, notamment l’Inde, le Vietnam et le Pakistan, évitent de prendre parti et continuent de commercer avec elle, mais on ignore combien de temps ils pourront rester « neutres ». Cependant, la Chine et la Russie sont confrontées à leurs propres risques internes. Ainsi, il est peu probable que la Chine soit la puissance mondiale qui puisse élever ses partenaires, car elle est confrontée à un ralentissement économique tout en privilégiant les investissements publics et en réduisant les risques sur le marché immobilier. Dans le même temps, le système financier mondial sera plus fragmenté, car les régimes autocratiques réfléchiront à deux fois avant de confier leurs deniers à l’Occident.
Compte tenu de l’incertitude des perspectives économiques mondiales, notamment pour les marchés émergents, de multiples scénarios peuvent être envisagés.
- Même dans le plus optimiste des scénarios de désescalade, impliquant le retrait des troupes russes dans les mois à venir et la levée des sanctions, les marchés émergents ne seront plus les mêmes. Les producteurs de matières premières du monde entier devront collaborer pour combler le vide laissé par la Russie et l’Ukraine. Sur le plan économique, même dans ce scénario positif, les pays en développement importateurs de matières premières, dont l’Inde, verront leur croissance ralentir, alors que les pressions inflationnistes sur les marchés émergents ne s’atténueront probablement que vers la fin de l’année.
- Et comme la guerre est toujours en cours, le pire des scénarios pourrait se produire si le conflit se prolongeait et impliquait davantage de pays, creusant encore le fossé mondial. Les flux commerciaux et financiers s’arrêteraient brusquement, entraînant dans la chaîne d’approvisionnement des goulets d’étranglement de plus longue durée et une inflation à deux chiffres dans les marchés émergents. Dans ce scénario, le choc de l’offre de matières premières aboutirait à un choc de la demande et à la stagflation dans les économies émergentes : une inflation élevée et une faible croissance à court, mais aussi à plus long terme.
- Dans notre scénario de base, les sanctions et leur impact sur les prix des matières premières perdureront jusqu’à l’année prochaine, entraînant une volatilité importante sur les marchés financiers. Actuellement, la guerre ne fait que s’intensifier. Dans ce scénario, les tensions géopolitiques mettront du temps à s’apaiser, entravant la normalisation du commerce et des chaînes d’approvisionnement, et les pressions inflationnistes commenceront à s’atténuer l’année prochaine.
On assistera à une divergence de la croissance : les pays exportateurs de produits de base – dont le Brésil, la Colombie, l’Indonésie et l’Afrique du Sud – bénéficieront de la hausse des prix à l’exportation, tandis que les importateurs de produits de base – la Chine et l’Inde notamment – seront confrontés à un ralentissement de la croissance économique. Ce ralentissement frappera aussi de nombreux pays à faible revenu d’Afrique et de l’Asie émergente sous l’effet de la flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie. La mesure dans laquelle cette évolution influencera les inégalités dans les différents pays dépend des politiques gouvernementales visant à compenser les pertes de revenus initiales. Actuellement, la Chine et l’Inde disposent d’amortisseurs suffisants pour tempérer la hausse des prix des matières premières, mais à court terme seulement.
Les performances en devises étrangères continueront de profiter aux exportateurs de matières premières dans les marchés émergents, mais même les plus grands d’entre eux risquent d’être confrontés à la volatilité lorsque les principales banques centrales des économies avancées relèveront leurs taux d’intérêt. Les banques centrales de nombreux pays émergents continueront de relever leurs taux pour attirer les capitaux et éviter la dépréciation de leur devise. Les dépréciations monétaires seront probablement plus importantes dans les pays importateurs de matières premières où l’inflation est déjà élevée, où la position extérieure est plus faible et où les réserves internationales sont moins importantes, comme en Égypte, aux Philippines, au Sri Lanka et en Géorgie.
Pour en savoir plus, veuillez consulter A blow to trust in a multifaceted war